Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mémoire-de-la-Littérature
4 mars 2020

SUR MALLARMÉ [séminaire du 25/02/2020]

Capture d’écran 2020-03-04 à 16Bertrand Marchal enseigne à l'Université Sorbonne Nouvelle.

Spécialiste de Mallarmé.

Je vais reproduire les documenta qu'il a projetés et commentés, sans outre mesure coller à ses mises en valeur, ses commentaires, faute de temps et de prise de notes. Mes commentaires sont souvent personnels, déformant assurément par moment la pensée du conférencier. Seules valent les captures d'écran.

Mais qu'il soit dit ici que Bertrand Marchal a donné une conférence particulièrement éclairante, nourrissante et, répondant parfaitement au voeu que je formais à la fin du compte-rendu de la leçon de Compagnon, une conférence qui a fait "avancer la  (ma, en tout cas) pensée". Précis, clair, sûr, dans son entretien terminal avec un Antoine Compagnon conforme au standard de ses questionnements, il a, à travers sa connaissance évidente et approfondie du sujet, parfaitement éclairci par exemple le principe de difficulté voulue des textes de Mallarmé.

Une vraie leçon!

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

 

Il y a dans ces affirmations liminaires péremptoires des notions qui me restent confuses. Ce ne sont à leur façon que des images, mais elles épuisent le bon sens béotien. Quel lecteur des romans et de la poésie du XIX° souscrira à ces affirmations de littérature se donnant pour but sa propre disparition? Outre que l'on ne voit pas l'intérêt qu'il y a à scier la branche sur laquelle on est assis, ces propos particulièrement (pour moi) abscons courent même, sauf le respect que je dois à de grandes signatures, le risque de l'aphérèse ... Et puis, si l'on veut aller au silence, il reste la solution plus simple de Wittgenstein : se taire.

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

Absolument idéaliste au départ, dit B.M., Mallarmé va découvrir le néant, s'apercevoir que lorsqu'on creuse le vers, on ne trouve rien, en somme, qu'il n'y a pas de fondement ontologique à la poésie. Pourquoi y en aurait-il un? Pourquoi toujours vouloir définir un commencement? Pourquoi vouloir un principe originel totalisant? Le mouvement se prouve en marchant. La poésie émerge en versifiant. Bref, Mallarmé, lui, s'interroge devant un tonneau sans fond, jusqu'à ce qu'il trouve l'appui de Descrtes dont le Discours de la Méthode le retient au bord du vide. Soit.

Et puis il fait tout partir du langage. Ce n'est plus cogito ergo sum, mais oro ergo sunt .

Rencontre avec Max Muller, le grand linguiste de son temps et avec la linguistique (naissante) comme métascience, coiffant toute les sciences, Muller qui pense que c'est la métaphore qui a permis à partir d'un très petit nombre de signes le développement du langage. Nourri de ses découvertes dans le domaine, Mallarmé fera de son érudition linguistique le fondement scientifique de son oeuvre. Bon ... on entrevoit.

Capture d’écran 2020-03-04 à 14

La Musique et les Lettres sont les deux faces de ... quelque chose que Mallarmé appelle l'Idée. Ce qui ne nous éclaire guère mais dont B.M. dit qu'il n'a pas le temps de parler. Dommage.

En fait, la finalité de l'effort de Mallarmé, derrière les talents de fossoyeur que lui prêtaient en commençant Sartre et alii, c'est de comprendre le monde et finalement, derrière cette affaire d'Esthétique et d'Economie politique, c'est de cela qu'il s'agit. Le langage engendrant tout et ne pouvant engendrer que des fictions, il suffit de le déconstruire, secteur par secteur, pour comprendre de quoi il retourne. Comme la Musique et les Lettres, l'Economie et la Finance sont des fictions. Il faut s'apercevoir que les mots s'étant mis en place et nous qui les utilisons ayant oublié d'où ils viennent, nous avons fait de ces mots qui ne sont rien, quelque chose. Ainsi de l'économie, basée sur le crédit quand crédit renvoie étymologiquement à une croyance (attention aux pyramides de Ponzi!). La poésie, par son entreprise de déconstruction va donc faire advenir les illusions de cette mascarade. Nous divinisons en pratique des mots dont nous avons oublié l'origine, dans un phénomène synthétisé par la paronomase (rapprochement de mots aus sonorités similaires mais de sens différents) nomen, numen , du nom à la puissance (?). Peut-on renvoyer à Victor Hugo et à son poème Nomen,Numen, Lumen?

Quand il eut terminé, quand les soleils épars,
Éblouis, du chaos montant de toutes parts,
Se furent tous rangés à leur place profonde,
Il sentit le besoin de se nommer au monde ;
Et l’être formidable et serein se leva ;
Il se dressa sur l’ombre et cria : JÉHOVAH !
Et dans l’immensité ces sept lettres tombèrent ;
Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,
Au-dessus de nos fronts tremblants sous leur rayon,
Les sept astres géants du noir septentrion.

(Minuit, au dolmen du Faldouet, mars 1855).

Une divinité, dit B.M., c'est un nom amnésique.

Et la littérature, soudain, peut tout, du moins beaucoup.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

***

On quitte le sujet pour passer à un "manuscrit de l'extrême", en l'occurrence un brouillon du "Pour un tombeau d'Anatole".

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Et là, cela devient passionnant! B.M. montre (ci-dessus) le manuscrit (un des quelque 220 feuillets) et sa transcription par Jean-Pierre Richard. Il commente le texte dans une analyse qui semble limpide, le costume marin renvoyant à la vague, l'ascétisme à la séparation de l'esprit et du corps, les mots rayés dessinant toutefois un toujours (tjs) pur assez incertain.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Mais coup de théâtre, c'est faux, car B.M. a réusi, sous la rature à déchiffrer hydropisie. Or Anatole est mort d'une hydropisie et plus précisément d'une ascite (un épanchement liquidien intra-abdominal). Ainsi, il n'est pas question d'ascète, mais d'ascite et Mallarmé, simplement, nomme précisément la cause de la mort de son fils. Du coup, il y a réinterprétation du feuillet! Dans la lecture de Jean-Pierre Richard, on pouvait croire à une sublimation du mal par l'image poétique découlant du petit costume marin. Désormais, c'est au contraire dans l'aridité du vocabulaire médical que s'ancre la métaphore poétique.

Sur le coup subjugué, j'avoue qu'en rédigeant et sans aucunement contester l'évidence de l'hydropisie, malgré la remarque explicite  d'A.C. lors de l'entretien sur l'hydro faisant naître l'idée d'eau, j'avoue dis-je que le simple déroulé spatial des notes sur la page rend me semble-t-il toute remontée de l'inspiration mallarméenne hautement improbable. Bravo à B.M. pour le déchiffrage hydropisie / ascite, mais je crois néanmoins résolument que c'est bien le petit costume marin qui a déclenché la métaphore filée de la grande traversée, de la vague, de la mer. Et la brutalité de la chute médicale, c'est le réveil brutal du rêveur qui plonge à fronts renversés dans le cauchemar du réel.

***

On passe au testament. A commencer par le témoignage de Paul Valéry.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Et à suivre par la mise au net du document, où Mère est son épouse, Marie et où Vève est Geneviève, sa fille.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

B.M. souligne que si Valéry avait été familier des brouillons de Mallarmé, il n'aurait pas marqué de surprise devant des ratures et une écriture qui lui étaient parfaitement habituelles. Il projette le manuscrit de cette lettre dont il affirme qu'elle est celle d'un homme parfaitement maître de ses moyens.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Il s'agit là, selon B.M. d'un simple brouillon, que Mallarmé avant qu'un spasme du larynx ne l'emporte, avait le lendemain commencé à recopier et à mettre au propre.

****

Le Coup de dés, pour finir. Rapidement. Publication posthume (1914)

Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8625644w/f7.image

Je suis allé feuilleter. L'ouvrage afflige le sens commun. L'affaire est réservée aux mallarméphiles assermentés. Je ne suis pas capable d'entrer dans ce délire.

B.M. développe toute une théorie à partir de quelques documents projetés (ci-après) . On y voit Mallarmé expliquer à deux correspondants (Camille Mauclair - disciple de Mallarmé, historien du symbolisme, antisémite convaincu sous l'Occupation et André Gide) son ambition de modeler le poème sur l'objet qu'il vise, ce que B.M. relie, via les allusions aux estampes, au détournement historique au profit de l'écriture,  via l'invention de l'imprimerie, de l'estampage, primitivement destiné à la reproduction d'images.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Reproduction ci-dessous d'une page manuscrite dont deux versions  peu différentes et mises au propre suivent, avec en rouge cette affaire de fonction originelle du papier : la présentation d'images.

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

Capture d’écran 2020-03-04 à 15

***

C'est dans le cadre de l'échange avec A.C. que B.M. a précisé que les difficultés voulues des textes de Mallarmé tenaient à son souci de dessiller le lecteur, qu'une lecture trop facile aurait laissé aux illusions construites par l'usage standardisé du langage. Mallamé, un éveilleur qui veut faire voir les choses qui sont derrière les choses?

La passion mallarméenne de Bertrand Marchal valait bien les applaudissements nourris qui ont accompagné le dernier texte projeté qui était celui-ci :

Capture d’écran 2020-03-05 à 07***

Deux points anecdotiques encore.

Je ne connais pas Mallarmé, hors quelques idées reçues et son célèbre hapax (... nul ptyx, aboli bibelot d'inanité sonore), même si à propos du Journal de deuil de Barthes, j'étais allé faire un tour du côté du Tombeau d'Anatole.

Il n'était pour moi qu'un piètre professeur, tristement chahuté (on pourra se reporter ICI pour plus de détails), ayant épousé une allemande qu'il avait prise pour une anglaise.

Bertrand Marchal a situé plus haut ses ambitions . Toutefois, puisqu'on parle beauoup ces temps-ci de séparer ou pas l'oeuvre et l'homme (Polanski), s'il a donné de la couleur à l'oeuvre, il ne m'a pas fait oublier l'homme que j'ai toujours plaint, seul, dans ce drame qu'est le face à face avec une bande de gamins impitoyables. Encore que, si l'on en croit le témoignage de Léon Paul Fargue (voir le lien ci-dessus fourni) il l'avait quand même un peu cherché ...

Publicité
Publicité
Commentaires
Mémoire-de-la-Littérature
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité